Deux dialogues sur la transmission des valeurs

- T'as compris, toi ?
- Compris quoi ?
- Ben le cours, là.
- Bah, je crois, ouais. Qu'est ce que t'a pas compris, toi ?
- Je sais pas... c'est pas clair. Le mec, il écrit une histoire, et il raconte d'abord la fin, en partant du milieu ; tu vois ?
- Oui.
- Et vingt ans après, bim ! il écrit le début.  Du coup ceux qui ont découvert l’œuvre au fur et à mesure sont bien attrapés, ils croyaient connaitre une histoire et en fait, ils en avaient que la moitié.
-à mon avis, c'est surtout pour les autres, ceux qui découvrent l'histoire dans l'ordre, que c'est difficile.
- Tu crois ?
- Ben oui, réfléchis : tout ce qui relevait du suspense et du coup de théâtre dans la fin de l'histoire est révélé de façon immédiate dans le début. Du coup, ça casse le dispositif narratif initialement mis en place.
- Le dispositif narratif, d'accord...mais attend, quel coup de théâtre ?
- Ben tu sais, quand il lui révèle que en fait il est son fils, comme dans un drame bourgeois.
- Attends, qui est le fils de qui ?
- Mais Luke ! C'est le fils de Dark Vador !
- Dark Vador ? Le genre de motard méchant, là ?
- Oui ! Le mec avec un casque qui respire fort. C'est le père !
- Le père du petit garçon ?
- Non, ça c'est lui quand il était jeune ! Mais alors toi, t'as vraiment rien suivi...
- C'est pas ma faute. Reconnais que c'est quand même extrêmement emmerdant, ce cours. Toi encore, tu vas t'en sortir. Mais moi, aux partiels, je vais me ramasser. J'aurais dû m'inscrire en super-héros.
-Y a trop de monde en super-héros. Tous les  mecs qui sont pas assez doué en maths pour les jeux vidéo et pas assez cultivés pour Star Wars finissent en super-héros. Les amphis sont plein de mecs qui croient être des intellectuels tout ça parce qu'ils ont lu deux Batman et le livre de Michel Onfray sur les X-Men...
- Tiens d'ailleurs, t'as entendu la nouvelle ? Il parait qu'il va pas bien du tout...
- Onfray ?
- Oui, il ne passera pas l'hiver, à ce qu'on raconte.
- C'est triste à dire, mais c'est sans doute mieux comme ça. Moi, je considère que qu'il a cessé d'être lisible il y a bien longtemps.
- Note bien, son livre sur l’égoïsme rebelle était pas mal. Comment ça s'appelait, déjà ?
- Manifeste pour un Sarkozisme hédoniste.
- Ah oui. Enfin en attendant, moi j'y comprends rien à Star wars et ça me lasse. C'est d'un académisme...
- Ecoute, c'est simple : Batman, c'est à la fois Batman et Bruce Wayne, d'accord ? Et bien dis-toi que Dark Vador c'est à la fois Anakin Skywalker et Dark Vador.
- Pas mal, tu crois que je peux l'écrire sur ma copie ?
- Pourquoi veux-tu écrire ça ?
- Ben, pour faire un parallèle. Montrer que j'ai des références.
- Il y a dix ans, je t'aurais dit oui, mais crois-moi : aujourd'hui, mieux vaut oublier la référence à Batman. Elle te signale comme semi-instruit et grossier cuistre.
- J'y arriverai jamais. Je suis pas fait pour les études. Je sais pas comment tu fais...
- Te concentrer tu dois
- Je quoi ?
- Laisse tomber.


******

- Tu reprends un verre ?
- Ma foi, il est pas dégueu ton cognac. Qu'est-ce que tu fais ce week-end ? Ça te dit de pousser jusqu'à la côte s'il fait beau ? Sophie et moi on n'a pas vu la mer depuis des mois.
- Hélas, je crois bien que je vais passer le week-end à corriger les dissertations de mes étudiants.
- Pauvre vieux. Moi, je leur fais préparer des dossiers en groupe, ça fait moins de boulot et pour eux et pour moi. C'est sur quoi, ces dissert'?
- Le dispositif narratif de Star Wars et son lien avec les principaux motifs thématiques.
- Aïe !
- A qui le dis-tu ? Je vais encore me taper des pages et des pages de bavardages prétentieux sur l'horizon d'attente du spectateur...
- ... des résumés de l'intrigue...
- Tais-toi ! La dernière fois il y en a un qui s'est cru obligé de me faire un schéma...
- Sans parler de  leur analyse de la partition musicale...
- Tu veux dire de leur absence d'analyse de la partition musicale. Ils te disent tous "Bon, ben y a des leitmotive musicaux" mais  y en a pas un pour préciser leur fonctionnement ou leur utilité. Tu vois, c'est vraiment ça qui me navre. Pas leur ignorance, mais leur indifférence. Je veux dire : qu'ils ignorent encore l'ordre de succession des épisodes de Star Wars en seconde année de licence, c'est triste, mais c'est comme ça. Ce qui me désespère, c'est que même les bons étudiants un peu moins ignares s'en foutent au fond, de Star Wars. Sorti des cours et des révisions, ils n'y pensent jamais. Ils ne cherchent pas à comprendre. C'est juste un travail dont ils doivent s'acquitter. 
- Etais-je différent à leur âge ?
- Moi, en tout cas, oui. C'était important pour moi. Et Batman, et Super Mario  et Pirates des Caraïbes. Ça a fait de moi l'homme que je suis aujourd'hui.
- Que veux-tu mon vieux, on est une discipline de relégation dans une fac de province. On se récupère tous les étudiants qui ne savent pas où aller.
- J'aurais dû faire Classique, j'aurais eu des étudiants motivés. 
- Tu te vois, toi, enseigner Duras ou Truffaut toute l'année ? Merci, mais non merci. En plus faut voir la gueule des étudiantes. Motivées, c'est certain, mais y en a pas une de baisable ! Et puis tu vas me foutre le cafard, à pleurer sur la disparition de la culture ... Ressers-moi un cognac, tiens.
- Tu as raison. Désolé.
- Excuses acceptées, capitaine Needa

(ils rient)

Exemple d'humour, XXIe siècle, voir notes en fin de volume.










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