C’est le milieu de la nuit, et pour une raison quelconque
vous êtes debout.
Vous retournez vous coucher aux côtés d’une forme allongée,
votre conjoint, conjointe. Avant de vous
rendormir ou d’essayer de, avant de vous figer dans la position adéquate, vous
caressez machinalement l’autre à côté. L’omoplate, la fesse, le bras, rien de
trop sensuel ou solennel. Rien qui se donne des airs d’érotisme ou même de
passion. Juste une caresse machinale, un avant-goût d’oubli, une caresse qui ne
se distingue plus tout à fait du sommeil qui l’a précédé et de celui qui
suivra.
Saisir ce geste. Filmer cette caresse chez un grand nombre
d’individus. Faire des recoupements, des statistiques, une nomenclature, une chronophotographie, des métaphores.
A mi-chemin entre dépouillement mutuel consciencieux des
chimpanzés et l’indifférence de banc de poissons de deux parisiens qui se
croisent au sortir du métro La Chapelle.
Comme si on mixait Je
t’aime … moi non plus avec La chanson des vieux amants
Caresse indétectable, prélude à rien, de tous nos gestes le
plus profond, qui pourtant brille par son absence dans les grand récits : cinéma,
littérature, peinture, conversations entre collègues de travail. On se recouche, pense à rien, à nos soucis
peut-être, à demain qui sera là dans combien d’heures, et la main, la nuque,
les pieds, juste toucher pour vérifier.
Voir ce geste chez les autres : les collègues, le chef,
la dame qui vide les poubelles, celui qui se tient debout dans la boulangerie, Vladimir
Poutine, feu mes grands-parents. Deviner chez eux cette animalité, cette
pulsion d’étreinte, sans espoir qu’il y
ait quelque chose à comprendre. Juste
voir.
Si dans l’obscurité
tu t'en vas cherchant une main et trouves un cul, bénis la providence.
Guido Ceronetti
Guido Ceronetti