Je ne m'en suis pas vraiment aperçu sur le moment, de l'énormité de la chose. J'ai cliqué sur le gros bouton bleu "suivre" et hop, comme j'aurais fait pour un collègue, un vague cousin, une chanteuse de R'n'B. Voila que je suis Pierre Michon sur Twitter.
Pierre Michon. Sur Twitter.
Et ce n'est pas tout.
Quignard, dans la foulée. Item que je te le follow, le Pascal.
Pourquoi pas liker Bergounioux tant qu'on y est ?
Pourquoi pas taper dans le dos de Gracq, pousser Michaux du coude, faire suivre à Beckett, penser à rappeler Pieyre de Mandiargues ?
On les croit cantonnés dans nos bibliothèques. Aussi muets que les Baudelaire, les Goethe ou les Plutarque. Bien à leur place, tout occupés de se tenir entre leurs éclairantes préfaces et leurs érudites notules, immobiles, biens conservés comme on dit une fois l'an d'un aïeul qu'on visite.
Et puis voila que nos écrivains se révèlent des gens comme moi, avec des comptes twitter, des adresse mail, des numéros de sécurité sociale peut-être. Allez savoir. Quel mauvais goût.
Il ne manquerait plus qu'on se croise dans une soirée, à l'anniversaire d'une ancienne collègue, (Salut (bise) Pascal. Enchanté), qu'on lui demande ce-qu'il-fait dans-la-vie.
Chuis au comité d'lecture de Gallimard, tuvoi. ...nan, c'est sympa, c'est sûr, mais c'que j'veux dire ...attends, j'vais m'chercher une bière...mais c'est vrai qu'en ce moment,il vaut mieux acheter dans la ptite couronne. ...moi, j'vois, j'ai un pote qui publie chez Fata Morgana, ben il a acheté à Aubervilliers, ben rien qu'en cinq ans, ça a pris au moins vingt mille balles de plus-value...
Les écrivains qu'on aime doivent rester les voix qui parlent dans leur livres. Tous ne sont pas forcément conscients de cette obligation de réserve.
On ne fera pas tant d'histoires pour tout un tas d'auteurs qu'on laissera bien volontiers écrire dans des magazines, parler à la télévision, exprimer des opinions, même, sur des problèmes de société, parce qu'ils n'ont pas de voix. Avec eux, on parlera de la crise, du prix du mètre carré, de la saison deux.On leur passera tout.
Avec Jacottet, je ne sais plus si on se tutoie.
Mais quand on s'appelle Pascal Quignard ou Pierre Michon, tout de même, on prend garde à ce qu'on dit. Si la langue française est notre langue à nous, la littérature française est la votre, messieurs. Dans cet idiome, on attend du sublime, de la fulgurance, des mots qui se détachent sur le silence, des phrases qui charrient le temps. Pas du Lol et du RT.
T'as été sur le tumblr de Guyotat ? Attends, j't'envoie le lien, tu vas te marrer.
Il y a quelques années, je refermais les Absences du Capitaine Cook avec la certitude que, c'était ça, la littérature, bon Dieu.
Plus tard j'ouvrais le Monde des Livres, pensais "Tiens, ça s'est amélioré, depuis la dernière fois". Mais le type qui y exprimait des avis, ce type qui signe du même nom, n'est rien qu'un type.
Qu'on me comprenne bien : je ne jette aucunement la pierre au journalisme et à l'emploi des mots qu'un tel métier suppose. Moi-même j'adore rapporter des faits, je me laisse parfois aller à une analyse et, sous la douche, quand d'autres chantent, j'éditorialise. Certes on n'apprend pas à écrire pour faire des listes de courses, pas plus qu'on n'apprend à lire pour déchiffrer le programme du théâtre de la ville. Mais il est tout de même secourable de pouvoir employer l'écriture à ça aussi. C'est un instrument de transmission bien imparfait, qui chante mieux qu'il n'énonce, et s'il est aujourd'hui un peu suranné, inférieur au tableau Excel, à la vidéosurveillance et à tant d'autres outils de notre temps, il a encore de beau jours devant lui pour mesurer, peser et diviser ce qui est.
Mais on ne me fera jamais croire que le sympathique auteur du blog l'Autofictif, le citoyen Chevillard, le père de famille Chevillard, ce bon vieil Eric, le mec pourvu d'opinions, de goûts, ce type, cet individu, mais si, tu sais, le mec qui se fout de la gueule d'Alexandre Jardin dans le journal, là, est le même qui parle dans les livres d'Eric Chevillard. C'est probablement un homonyme.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
commenter