A tout moment, le comique de la situation risque de vous échapper : maitrisez-le des deux mains en maintenant sa mâchoire bien ouverte. Ceci fait, pénétrez-vous de l'instant et ne bougez plus.
A tout moment, la solennité de l'instant risque de vous terrasser : ignorez-le en lui tournant le dos fermement et dignement, mettez-vous à quatre pattes, gémissez si ça peut vous aider, mais sans vous départir jamais de votre dignité.
A tout moment, l'insignifiance de l'instant peut vous frapper : baissez-vous ou déportez vous légèrement sur le côté. Grâce à ce vieux truc, quelqu'un d'autre prendra le coup.
A tout moment, l'ennui peut vous surprendre : seul dans une salle d'attente, bien sûr, mais aussi au travail, lors d'une réunion importante, en discutant un sujet de société, à table avec des cousins, face à un ami d'enfance croisé au hasard des soldes, seul avec un bon roman ou au cinéma. Il est impératif d'émerger de la couche d'ennui qui menace de vous engloutir, sortir au moins la tête, garder les voies respiratoires au-dessus des flots -Métaphore impropre : l'ennui est tantôt liquide comme une conversation, tantôt gazeux comme l'air d'une pharmacie et parfois solide comme un roman.
Il faut distinguer l'ennui libre (vous pouvez à tout moment cesser de
regarder ce film, quitter la pièce, raccrocher le téléphone) de l'ennui
contraint (vous êtes supposés rester dans ce bureau, cette église, cette
salle de réunion pour une durée déterminée et rien ni personne ne viendra vous sauver)
Face à l'ennui libre, la fuite ou l'abandon ont fait leurs preuves. Boire cul-sec une bouteille d'alcool fort, par exemple, permet en général de tuer le temps jusqu'à la prochaine obligation.
Échapper à l'ennui contraint demande plus d'invention, de ruse. Plusieurs solutions s'offrent à vous. Attention, la première qui se présente à l'esprit (dans mon cas, l'automutilation) n'est pas forcément la bonne. Y réfléchir à deux fois avant d'opter pour l'une ou l'autre des échappatoires à l'ennui peut s'avérer préférable. D'ailleurs, c'est en soi une distraction suffisante que d'énumérer mentalement des remèdes à l'ennui.
Agir de façon inattendue et observer les réactions d'autrui, les siennes propres, se regarder comme un autre imprévisible est en soi une assez bonne idée, mais suppose un certain courage pour en assumer les suites.
Le plus simple est encore de raconter n'importe quoi, ce qui vous passe par la tête. Si ce que vous dites est intéressant, vos propos vous égaieront. Si c'est insipide, ennuyeux, alors vous aurez au moins la satisfaction d'ennuyer autrui, au lieu que d'être ennuyé par lui.